Nouveautés

Lobos ibericos, anatomia, ecologia y conservacion (vol.1), 531 p. ; et Lobos ibericos, indicios de presencia (vol. 2), 186 p. 55 €.
De Angel Iglesias Izquierdo, Angel Javier Espana Baez et Jose Espana Baez
Editions Nayade Nature, Valladolid (2017).

Les auteurs, vétérinaire, biologistes et médiateurs environnementaux figurent parmi les meilleurs spécialistes de la faune sauvage et des carnivores d’Espagne. En mettant en commun leur immense expérience de terrain dans l’étude, le recensement, la distribution, le mode de vie, l’alimentation, les indices de présence, l’éducation et la formation auprès des autorités et de la société, des populations de loups ibériques, ils nous livrent une monographie en deux volumes et un état des connaissances exceptionnels des populations espagnoles et portugaises de la sous-espèce, Canis lupus signatus1 Cabrera, 1907. Avec 1 500-2 000 loups en 2015 (297 meutes, sur une superficie de 100 000 km², soit 1/5e du territoire), la péninsule accueille la plus importante population de loups du continent européen, après la Russie et la Roumanie.
Le volume 1 détaille en 20 chapitres, les origines de l’espèce, l’anatomie, l’identification, l’habitat et la  distribution, le territoire, les déplacements, le comportement, les techniques de chasse, sa fonction biologique, l’étude de l’espèce sur le terrain, ses rapports avec l’homme, les conflits avec l’élevage… et la législation. Le tout avec une iconographie complète, dans son format, son utilisation et sa précision, obtenue à la foi dans la nature et en semi-captivité. Les planches photos de la dentition de loups, à différents stades de leur vie, illustrent, s’il en était besoin, que la vie d’un super-prédateur n’est pas un long fleuve tranquille (p. 98, la mâchoire d’un individu de 14 ans, ou celle, p. 99, d’un individu mort pris dans un lacet, aux dents usées d’avoir rongé le fil d’acier qui le retenait prisonnier).
Les auteurs n’éludent pas le sujet des attaques du loup sur les humains (vol. 1, p. 370-375). Ils reviennent sur trois attaques survenues en Galice entre 1957 et 1959 (époque avec « peu de proies sauvages et des loups abondants »), et la dernière en 1975 : une première attaque de trois enfants, dont deux seront tués, la seconde le 25 juin 1957 sur deux enfants de 5 ans, et la troisième sur 4 personnes dont deux ne survivront pas. En 1975, c’est un loup qui agresse un enfant de 3 ans, le blessant avant d’être mis en fuite.
Deux pages sont consacrées à des recommandations pour prévenir des attaques de loup, un peu comme en Amérique du Nord, où habitants, chasseurs ou randonneurs sont invités à adapter leur comportement pour prévenir ou réagir face à l’agressivité d’un grand prédateur (ours noir, grizzly, puma…). Le loup n’est ni méchant, ni gentil. Comme l’eau ou la pluie, et bien des animaux domestiques, il peut simplement parfois s’avérer dangereux. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, mais d’apprendre à vivre avec.
Le volume 2, consacré aux indices de présence sur le terrain, est inédit et unique dans la littérature européenne, française et anglo-saxone, récente sur le loup. 186 pages sont exclusivement consacrées, en huit chapitres, avec une très grande richesse iconographique, à l’examen et à l’identification des indices de présence dans la nature du loup ibérique :
– Empreintes, voies et pistes (pas moins de 65 pages), sur tous les substrats et pas seulement dans la neige, sur les six allures de déplacement, sur la distinction entre antérieur et postérieur, entre membre droit ou gauche, avec les chiens domestiques ou « asilvestrados »…;
– Excréments, urine et « vomitos » (38 pages) : plus d’une centaine de documents photographiques originaux, détaillant l’aspect, les mensurations, l’évolution dans le temps des fèces, leur situation dans la nature, leur localisation selon le calendrier du loup, la nature des proies … ; des documents uniques sur des fèces diarrhéiques (après l’absorption importante de sang ou traduisant une pathologie digestive ou intestinale ?), ou de rejets gastriques, « vomitos », de poils, charognes ou après absorption purgative de végétaux … ;
– Gîtes et tanières (17 pages) ;
– Restes de proies, charognes, examens des signes d’attaques et de consommation (36 pages) : analyse des blessures observables sur les proies blessées, tuées ou consommées, la localisation des lésions, du type de consommation, de l’état du cadavre ou des restes, les traces de la dentition (l’espace supérieur inter-canines et sa comparaison avec l’Ours brun, le Lynx pardelle ou le renard…), superficielles et en profondeur … ;
– Poils de loups (8 pages) accrochés à la végétation ou aux clôtures ;
– Grattis et griffades (8 pages) : aux fonctions visuelle, olfactive et territoriale ; les documents photographiques largement inédits détaillent trois types de grattis, simples réalisés par les membres antérieurs, complets réalisés simultanément par les antérieurs et les postérieurs, enfin les grattis complexes composés d’une succession de plusieurs grattis ;
– Excavations (6 pages) : réalisées avec les pattes antérieurs pour accéder à des sources de
nourriture ou pour enterrer des surplus de proies non consommés ;
– Sentiers et ossements de loups (4 pages).
« De visible il n’y a que des traces de canidés dans la boue. Mais avec d’autres yeux, il s’agit de recomposer une trajectoire, d’extrapoler un parcours, une allure, un faisceau d’intentions, qui disent une manière d’habiter un lieu ».
La lecture de Lobos ibericos est à la fois une magnifique invitation et aussi une admonestation sans frais adressée aux responsables du dispositif français de suivi et de gestion du loup, pour nous rappeler qu’acquérir les techniques et les aptitudes pour conduire un pistage complexe (simple, systématique et spéculatif d’après Liebenberg2, 2013) reste le préalable à toute pratique scientifique sérieuse d’étude et de gestion d’une espèce élusive, dont le mode d’existence (sa capacité à disparaître dans un paysage) empêche de produire facilement des preuves de sa présence. Toutefois, les gens qui vivent en pays à loups n’arrêtent pas de le voir sans le voir, autrement dit de le repérer par d’autres signes. Comprendre l’animal, et donc déterminer le mode possible de relations avec lui, c’est d’abord comprendre comment il circule.
L’autre leçon des scientifiques espagnols que nous, français, serions bien inspirés d’entendre : vivre avec un grand prédateur n’est pas affaire d’opinion, être pour ou contre, ce qui est aussi absurde qu’être pour ou contre la pluie ou la maladie, mais de savoirs. Pour lui signifier que sa place n’est pas dans la bergerie et les troupeaux d’ovins ne sont pas pour lui. Qu’on entre en relation, qu’on lui parle3, en somme, entre êtres sociaux que nous sommes tous ! Avec la seule question qui vaille, ce qu’il faut savoir pour vivre avec.

1 La Catalogne est la seule région d’Espagne qui accueille depuis 2000 une petite population de loups italiens Canis lupus italicus. Altobello, 1921.
2 The Origin of Science. The Evolutionary Roots of Scientific Reasoning and its Implications for Citizen Science, le Cap, Afrique du Sud, CyberTracker, 2013.
3 Qu’on lui communique nos intentions, lui signifie des limites, des frontières ou des interdits.

JJB, le 01/05/2018

Le chacal doré, une nouvelle espèce en territoire français ?

Florian Bardou – Libération – mercredi 4 avril 2018

Originaire d’Europe du Sud-Est, ce petit carnivore a été aperçu à plusieurs reprises par des chasseurs et protecteurs de l’environnement de Haute-Savoie ces derniers mois. Des observations ponctuelles confirmées par l’ONCFS.
On le dit semblable à un petit loup. D’une cinquantaine de centimètres au garrot et doté d’un museau pointu, le chacal doré (canis aureus, de son nom latin) ressemble plutôt à un gros renard. Mais contrairement à ces deux canidés emblématiques de la faune française, le chacal doré, dont l’aire de répartition historique s’étend des Balkans au sous-continent indien, n’avait jamais été remarqué à l’ouest des Alpes. Du moins jusqu’à cet été. Ce petit prédateur «opportuniste» avait en effet été photographié à trois reprises dans le Chablais par des chasseurs et des protecteurs de la nature de Haute-Savoie.
Dernières en date, les photos en couleur de la Fédération Rhône-Alpes de la protection de la nature (Frapna) montrent le canidé en train de renifler la terre près d’une souche, à la belle étoile. «On savait que la fédération de chasse avait pris quelques clichés quelques mois plus tôt d’au moins un individu», abonde Christophe Gilles, mammalogiste de la Frapna. Et le naturaliste sait de quoi il parle puisqu’il a déjà observé l’animal à l’étranger. «Le chacal est une bestiole discrète et nocturne. On peut le confondre avec un loup à cause de son pelage d’hiver. Mais avec des photos en couleur et après des mesures, pas de doute : il s’agit bien d’un spécimen de cette espèce», explique-t-il.
Ses observations, obtenues grâce à des pièges-photo pour la surveillance du loup et du lynx, ont cette fois été «validées» par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui confirme d’ailleurs à Libération la présence d’au moins un spécimen en France. «Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a qu’un seul, qu’il se soit établi ou qu’il va s’établir tout de suite», précise Murielle Guinot-Ghestem, responsable de l’unité «prédateurs-animaux déprédateurs» de cet organisme.
La dynamique d’expansion naturelle de l’espèce vers le nord et l’ouest de l’Europe depuis un demi-siècle fait cependant dire aux spécialistes du canidé qu’il y a de grandes chances qu’on le considère à l’avenir comme une espèce autochtone. «Est-ce que cela se fera dans les années ou les décennies à venir ? Pour l’instant, on ne peut pas le savoir, poursuit Murielle Guinot-Ghestem. Le chacal est une espèce très adaptable avec une prédilection pour les zones humides et agricoles. Son régime alimentaire et son comportement étant comparables à ceux du renard, il ne va pas bouleverser l’équilibre naturel.»
«Ce serait un enrichissement pour la biodiversité», plaide pour sa part François Moutou, expert associé du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et ancien président de la Société française d’études et de protection des mammifères. Et pour ce vétérinaire à le retraite, même si le chacal a bénéficié de l’affaiblissement des populations de loup, les trois espèces européennes de canidés sauvages sont tout à fait capables de coexister. Reste la question du statut à donner à cette nouvelle espèce en France. «Une chose est sûre, il faudra lui en donner un : celui de gibier chassable, d’espèce susceptible d’occasionner des dégâts [les soi-disant nuisibles, ndlr] comme le renard, ou d’espèce protégée comme le loup», précise François Moutou.
Protégé en Allemagne, chassable en Croatie
En 2016, la Commission européenne a d’ailleurs considéré qu’en l’état des connaissances scientifiques actuelles, le canis aureus ne pouvait pas être traité comme une espèce exotique envahissante, obligeant les Etats membres où l’animal s’est installé à maintenir un bon état de conservation de l’espèce en vertu de son inscription en 1992 à l’Annexe V de la directive Habitats-Faune-Flore. Néanmoins, dans les 19 pays de l’Union européenne où il est présent, précisait en décembre la Société française d’études et de protection des mammifères dans son bulletin bimestriel, le chacal doré bénéficie d’un degré de protection très varié, d’espèce chassable en Croatie à espèce protégée en Allemagne.
http://www.liberation.fr/france/2018/04/04/le-chacal-dore-une-nouvelle-espece-en-territoire-francais_1640696