JJB et AN, 2/10/2018, © Association Houmbaba.

Cessons cette manière de faire de l’écologie…  qui ne produit que du conflit !

Cohabiter avec de grands prédateurs dans une société moderne ne s’improvise pas et ne se décrète pas. L’idéologie écologique qui accompagne la réintroduction de grands animaux depuis 40 ans en France ne fonctionne plus. Les gens n’acceptent plus qu’on leur impose de vivre avec des animaux potentiellement dangereux, en étant incapable de mettre en concordance le discours et la réalité de la vie avec, là où ça se passe. Si l’on n’est pas dans l’exigence de la réussite, c’est-à-dire si l’on ne dispose pas des connaissances, des savoirs et des techniques permettant de le faire, cela ne peut conduire qu’au discrédit et à la ruine du discours de l’écologie politique et de l’action publique.

Ainsi, engager la réintroduction de deux ourses dans les Pyrénées, dans les conditions et le calendrier prévus, relève d’une incompétence « crasse »: politique, scientifique, écologique, technique et éthique. Mais c’est d’abord faire bien peu de cas du bien-être animal, que d’envisager de délocaliser avec cette brutalité et à cette saison, ces deux femelles d’origine slovène, sans période d’acclimatation, en prenant le risque de les placer de fait en territoire non seulement étranger mais « hostile » (comme en 2006), à une période critique de leur cycle annuel, la préparation de l’hibernation. Selon les mêmes protocoles indigents que ceux engagés depuis 1996 dans les Pyrénées, sans avoir rien appris des expériences précédentes. Ainsi engagée, cette réintroduction ne peut que produire incompréhension, désarroi, colère et participer d’un climat de violence sociale, devenu aujourd’hui insupportable. C’est assez de devoir vivre dans une société en conflit permanent, chaque jour un peu plus les uns contre les autres, pour ou contre la souffrance des éleveurs, en guerre contre la nature, l’ours ou le loup… contre elle-même, l’autre ou le musulman.

Cohabiter, vivre avec un grand prédateur, c’est l’amener à respecter des limites dans sa relation avec les humains, en fonction des situations, posées en terme d’interaction, de territoire et de comportement. Et cela en permanence. C’est pourquoi les humains se doivent toujours d’intervenir immédiatement pour influencer le comportement d’animaux porteurs de dangerosité potentielle, de peur et d’intranquillité permanente, dès qu’ils interagissent avec les humains si l’on doit cohabiter avec eux. Et éviter que des conflits épisodiques ne deviennent chroniques.

En effet, il ne s’agit pas de réintroduire quelques individus d’une espèce protégée de grands animaux, pour faire joli sur la photo, mais parce que c’est bon : bon pour l’animal, l’espèce, l’écosystème, le territoire, l’eau, les sols, la forêt, les usages, l’économie des régions concernées, et bon pour la société tout entière. C’est la fonction écologique qui est déterminante ici. Le prédateur a pour fonction de produire de la qualité et de la résilience dans le monde vivant. « Il faut sauver les vieux arbres et les grands carnivores ». C’était déjà le message de deux études internationales parues en 2014 sur le rôle irremplaçable des plus grands prédateurs et le rôle climatique des « grands de la forêt». Cela suppose donc, de se placer dans l’exigence d’une politique de l’innovation, plaçant la biologie et la qualité des relations entre vivants humains et non humains au cœur du projet, avec la volonté, l’obligation et la joie de la réussite.

Et cette réussite n’est possible que si l’on dispose du « corpus technique », des savoirs -et donc de la science- pour la mener à bien, et non d’une idéologie écologique moralisatrice et malsaine, se résumant le plus souvent à une injonction morbide, sans science ni conscience. Car cela signifie que l’objectif de ces politiques environnementales, c’est bien de vivre avec des populations viables -1000, 2500, 5000 individus ou plus ?- toutefois sans jamais avoir pris le soin d’en débattre ni de demander à la société avec quelle population de ces grands animaux il était possible de vivre ? Si la société était prête à le faire, ni à quelles conditions ? On ne parle pas ici uniquement de la société urbaine généralement acquise, mais des communautés locales qui auront à cohabiter durablement avec, et non à vivre à côté. Il est inconcevable de prétendre vivre séparé de la réalité du monde vivant, à côté de grands animaux (ou des virus…), c’est impossible en effet. Comme les humains, ils sont mobiles eux aussi, et choisiront pour s’installer les endroits où ils se sentiront le mieux ! Il nous faut donc impérativement et préalablement avoir appris à le faire. Ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Car ces savoirs ont été perdus. Et la place des grands prédateurs n’est certainement pas dans la bergerie !
Alors, réintroduire des ours dans les Pyrénées, les Alpes ou le Massif central ? Oui, mais pas comme ça! En s’inspirant de la grande tradition française des « coureurs de bois », de Gaston Phébus à François 1er, selon un nouvel « art de vie » -et une économie- à ré-inventer ensemble au cœur des « terroirs sauvages », en déployant un « corpus technique à la française » et avec un préalable : restaurer la confiance des éleveurs dans la capacité des autorités à les protéger des animaux -et des individus précisément- qui gênent la société quand ils choisissent d’entrer en conflits avec elle. Réintroduire de grands animaux est toujours une aventure qu’il doit être possible d’interrompre, si cela ne se passe pas comme prévu. Toutefois pour les populations concernées, la réintroduction revêt avant tout une dimension socio-politique et identitaire, ce qui ne la rend possible qu’au terme d’un processus politique, juridique, social, scientifique et technique exemplaire. C’est à cette réalité qu’il convient de s’attacher collectivement pour la réussir.

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