Réponse Houmbaba : Dans l’émission « les bergers du monde », un berger afghan considérait récemment que son entreprise de transhumance était mise à mal économiquement par le loup. Car cette année, il a eu beaucoup d’attaques. Il a eu 8 moutons tués.

Des amis américains ont mis en place une technique qui accepte qu’un animal protégé puisse produire des problèmes à l’activité humaine, toutefois sous la surveillance permanente d’équipes de suivis des meutes et de trappeurs professionnels, chargés d’intervenir systématiquement dès qu’il y a conflit avec l’élevage. Laquelle technique produit dans trois Etats du Nord-ouest des Etats-Unis (>850 000 km2), seulement 200 attaques/an sur la période 1987/2010, pour 1651 loups suivis et étudiés (244 meutes et 111 « breeding pairs »), pour environ 5 millions de vaches et 830 000 ovins[1]. Et avec des loups au moins deux fois plus gros que les « loups français » !

Vivre avec le loup, c’est accepter d’avoir régulièrement des problèmes sur les troupeaux. Mais si l’on regarde le cas du berger afghan (système « archaïque ») ou celui des éleveurs américains (système « moderne »), le résultat produit par le PNL[2] et ses acteurs (élus, autorités, administrations, professionnels et associations…) ne répond pas à ce que l’on peut attendre d’une cohabitation « supportable » avec une population viable d’un grand prédateur dans un pays moderne.

Eduquer n’est pas domestiquer, éduquer n’est pas dompter, éduquer n’est pas « manipuler » (selon le mot du responsable de la Mission Loup de FNE !). Eduquer, c’est participer au « paysage existentiel animal » sur un territoire donné, et où l’animal, pour obtenir tel ou tel résultat de prédation, ne reproduit pas un comportement à risques s’il peut avoir les mêmes résultats sans prendre aucun risque. C’est envoyer des messages et signifier fermement des limites, c’est interagir entre êtres vivants, comme toutes les espèces territoriales le font en permanence là où elles vivent.

Plus de 6000 animaux tués, retrouvés et indemnisés pour la seule année 2012, pour 250 loups officiellement estimés, n’est pas une situation normale. Les éleveurs n’ont pas à supporter seuls, le poids d’une cohabitation très mal engagée en France depuis 20 ans.

6 000 moutons tués, c’est 100 fois le taux de prédation observé en un an sur les cheptels dans deux Etats du Nord-ouest des Etats-Unis[3] pour une population de loups quasiment équivalente (période 2000-2003).

Sur la période 1995-2003, qui a suivi le retour des loups dans la zone de réintroduction de Yellowstone (25 000 km2), 547 prédations ont été enregistrées sur les troupeaux domestiques, soit 46 moutons/an et 13 veaux/an. Le taux de prédation moyen constaté pour la période 2000-2003 a été de 27 veaux/an (écart = 7-45) et 79 moutons/an (écart = 39-117) pour 177 à 301 loups[4]. Taux très voisin de celui initialement envisagé sur le long terme avant les réintroductions, 39 veaux/an et 68 moutons/an.

En 2013, dans le centre de l’Idaho (environ 110 000 km2), pour une population estimée à 659 loups, pour un « effectif minimum détecté » de 295 loups (107 « meutes documentées », 46 « meutes reproductrices détectées », 20 « breeding pairs[5] », et 166 jeunes au minimum, dont 72 morts avant la fin de leur année de naissance), les « déprédations » confirmées ou probables dues au loup concernent 46 vaches, 413  moutons, 5 chiens et un cheval[6].

Suite aux conflits récurrents avec l’élevage, 94 loups ont été éliminés légalement en 2013 (par les trappeurs du Wildlife Service, les agents de l’Idaho Fish and Game ou les éleveurs autorisés). 356 ont été tués la même année à la chasse (autorisée pour la première fois en 2009).

>> Les troupeaux attaqués en France, en petit nombre au regard du nombre d’élevages existant dans les zones à loups, le sont surtout dans les mêmes régions, ce qui ne veut pas dire que le loup n’est pas présent ailleurs. Simplement qu’il module son comportement, que c’est un animal plastique, pas un animal « machine » s’attaquant systématiquement aux moutons. Voilà qui devrait nous intéresser, car nous avons justement des conflits à résoudre, non ? Et s’il a un comportement plastique, différent d’une région à l’autre, qu’attendons-nous pour essayer de le comprendre et d’interagir avec l’animal pour ainsi régler les problèmes qu’ils posent à certains troupeaux ? Et permettre enfin de rendre compte du rôle et de l’utilité de sa présence dans nos forêts ?

Non, notre pays n’est pas au niveau technique et scientifique des standards internationaux sur le dossier loup, et la profession la plus exposée le paye au prix fort. Or, plus une population croit, plus son suivi s’avère difficile[7] y compris en utilisant toutes les techniques disponibles (observations des chasseurs par questionnaire, observations du public en ligne, suivi des sites de rendez-vous, « howling », « rub stations », « sand tracks », pièges photos, analyses génétiques…). Tous ces dispositifs sont inévitables, avec la capture scientifique.

Cette dernière permet d’obtenir une objectivité partagée sur une population de loups, c’est-à-dire une perception analogue à celles des gens de terrain avec des techniques différentes, à partir du premier diagnostic de présence. La science n’est pas là pour se substituer ou « piller » les savoirs vernaculaires. Toutefois ces derniers ne sont pas considérés et mobilisés comme ils le devraient dans le dispositif français…


[1]            Source : Niemeyer C. 2012. Mode de gestion dans les parcs nationaux, le cas du loup aux Etats-Unis. Conférence, Université de Montpellier II et Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive, février 2012.

[2]            Plan national loup.

[3]            P.J. White et al. 2005. Yellowstone after Wolves, Environmental Impact Statement Prédictions and Ten-Year Appraisals. Yellowstone Science, volume 13 (1), Winter 2005, p. 34-41.

[4]            Dans le Nord-ouest du Montana, pour une population de loups comprise entre 64 et 92 individus, sur la même période 2000-2003, 8 vaches (écart = 6-10) et 6 moutons (écart = 2-13) ont été tués.

[5] Critère utilisé au niveau fédéral et de l’Etat pour apprécier les résultats du plan de réintroduction et de gestion de la population de loups (une des deux populations -35 loups- réintroduites en 1995/1996 avec celle du Yellowstone -31 loups.) : une « breeding pair » est définie comme « un adulte mâle et une femelle ayant produit au moins deux jeunes ayant survécu au moins jusqu’au 31 décembre de leur année de naissance ».

[6]            Idaho Department of Fish and Game and Nez Perce Tribe 2014. 2013 Idaho Wolf Monitoring Progress Report, 74 p.

[7]            Idaho Department of Fish and Game and Nez Perce Tribe 2013. 2012 Idaho Wolf Monitoring Progress Report, 72 p.

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