Pour une acceptabilité sociale de la vie avec les grands prédateurs.

JJB et AN, 2/10/2018, © Association Houmbaba.

Cessons cette manière de faire de l’écologie…  qui ne produit que du conflit !

Cohabiter avec de grands prédateurs dans une société moderne ne s’improvise pas et ne se décrète pas. L’idéologie écologique qui accompagne la réintroduction de grands animaux depuis 40 ans en France ne fonctionne plus. Les gens n’acceptent plus qu’on leur impose de vivre avec des animaux potentiellement dangereux, en étant incapable de mettre en concordance le discours et la réalité de la vie avec, là où ça se passe. Si l’on n’est pas dans l’exigence de la réussite, c’est-à-dire si l’on ne dispose pas des connaissances, des savoirs et des techniques permettant de le faire, cela ne peut conduire qu’au discrédit et à la ruine du discours de l’écologie politique et de l’action publique.

Ainsi, engager la réintroduction de deux ourses dans les Pyrénées, dans les conditions et le calendrier prévus, relève d’une incompétence « crasse »: politique, scientifique, écologique, technique et éthique. Mais c’est d’abord faire bien peu de cas du bien-être animal, que d’envisager de délocaliser avec cette brutalité et à cette saison, ces deux femelles d’origine slovène, sans période d’acclimatation, en prenant le risque de les placer de fait en territoire non seulement étranger mais « hostile » (comme en 2006), à une période critique de leur cycle annuel, la préparation de l’hibernation. Selon les mêmes protocoles indigents que ceux engagés depuis 1996 dans les Pyrénées, sans avoir rien appris des expériences précédentes. Ainsi engagée, cette réintroduction ne peut que produire incompréhension, désarroi, colère et participer d’un climat de violence sociale, devenu aujourd’hui insupportable. C’est assez de devoir vivre dans une société en conflit permanent, chaque jour un peu plus les uns contre les autres, pour ou contre la souffrance des éleveurs, en guerre contre la nature, l’ours ou le loup… contre elle-même, l’autre ou le musulman.

Cohabiter, vivre avec un grand prédateur, c’est l’amener à respecter des limites dans sa relation avec les humains, en fonction des situations, posées en terme d’interaction, de territoire et de comportement. Et cela en permanence. C’est pourquoi les humains se doivent toujours d’intervenir immédiatement pour influencer le comportement d’animaux porteurs de dangerosité potentielle, de peur et d’intranquillité permanente, dès qu’ils interagissent avec les humains si l’on doit cohabiter avec eux. Et éviter que des conflits épisodiques ne deviennent chroniques.

En effet, il ne s’agit pas de réintroduire quelques individus d’une espèce protégée de grands animaux, pour faire joli sur la photo, mais parce que c’est bon : bon pour l’animal, l’espèce, l’écosystème, le territoire, l’eau, les sols, la forêt, les usages, l’économie des régions concernées, et bon pour la société tout entière. C’est la fonction écologique qui est déterminante ici. Le prédateur a pour fonction de produire de la qualité et de la résilience dans le monde vivant. « Il faut sauver les vieux arbres et les grands carnivores ». C’était déjà le message de deux études internationales parues en 2014 sur le rôle irremplaçable des plus grands prédateurs et le rôle climatique des « grands de la forêt». Cela suppose donc, de se placer dans l’exigence d’une politique de l’innovation, plaçant la biologie et la qualité des relations entre vivants humains et non humains au cœur du projet, avec la volonté, l’obligation et la joie de la réussite.

Et cette réussite n’est possible que si l’on dispose du « corpus technique », des savoirs -et donc de la science- pour la mener à bien, et non d’une idéologie écologique moralisatrice et malsaine, se résumant le plus souvent à une injonction morbide, sans science ni conscience. Car cela signifie que l’objectif de ces politiques environnementales, c’est bien de vivre avec des populations viables -1000, 2500, 5000 individus ou plus ?- toutefois sans jamais avoir pris le soin d’en débattre ni de demander à la société avec quelle population de ces grands animaux il était possible de vivre ? Si la société était prête à le faire, ni à quelles conditions ? On ne parle pas ici uniquement de la société urbaine généralement acquise, mais des communautés locales qui auront à cohabiter durablement avec, et non à vivre à côté. Il est inconcevable de prétendre vivre séparé de la réalité du monde vivant, à côté de grands animaux (ou des virus…), c’est impossible en effet. Comme les humains, ils sont mobiles eux aussi, et choisiront pour s’installer les endroits où ils se sentiront le mieux ! Il nous faut donc impérativement et préalablement avoir appris à le faire. Ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Car ces savoirs ont été perdus. Et la place des grands prédateurs n’est certainement pas dans la bergerie !
Alors, réintroduire des ours dans les Pyrénées, les Alpes ou le Massif central ? Oui, mais pas comme ça! En s’inspirant de la grande tradition française des « coureurs de bois », de Gaston Phébus à François 1er, selon un nouvel « art de vie » -et une économie- à ré-inventer ensemble au cœur des « terroirs sauvages », en déployant un « corpus technique à la française » et avec un préalable : restaurer la confiance des éleveurs dans la capacité des autorités à les protéger des animaux -et des individus précisément- qui gênent la société quand ils choisissent d’entrer en conflits avec elle. Réintroduire de grands animaux est toujours une aventure qu’il doit être possible d’interrompre, si cela ne se passe pas comme prévu. Toutefois pour les populations concernées, la réintroduction revêt avant tout une dimension socio-politique et identitaire, ce qui ne la rend possible qu’au terme d’un processus politique, juridique, social, scientifique et technique exemplaire. C’est à cette réalité qu’il convient de s’attacher collectivement pour la réussir.

Interview Antoine Nochy, Libération

Par Catherine Calvet — 17 août 2018

« Pour le loup, c’est l’éleveur qui vit sur son territoire et non l’inverse »

Selon Antoine Nochy, chasseur, éleveur et pisteur, le loup est un prédateur supérieur, doté d’une grande faculté d’adaptation, comparable à l’homme.

Antoine Nochy vit dans les Cévennes, il est éleveur, chasseur et surtout pisteur. Il raconte son expérience dans plusieurs pays d’Europe et aux Etats-Unis dans la Bête qui mangeait le monde (1). Et il propose des «pistes» pour une coexistence entre les deux prédateurs supérieurs que sont le loup et l’homme.

Libération: Le débat sur les loups en France est tendu…

Antoine Nochy : Le débat est surtout incomplet, il manque un personnage crucial : le loup. Il y a une méconnaissance à son sujet. La transmission des savoirs s’est interrompue à un moment donné. On s’est coupé de l’expérience des anciens. Les traces d’une présence passée du loup sont pourtant partout. Mais elles n’ont plus de sens pour les contemporains. Le loup est inscrit dans nos cadastres : c’est ce qu’on appelle les loubières, c’était à la fois la tanière du loup et, par extension, les lieux où ils évoluaient. La toponymie nous indique clairement où étaient les loups : La Colle-sur-Loup, Louvières… Le loup a un territoire très étendu : près de 200 kilomètres carrés. Et il n’y a qu’une seule meute de loups par territoire. Si on ne peut plus les éradiquer, le plus simple est d’essayer de circonscrire des endroits réservés. Et surtout, nous devrions tous échanger les informations sur la présence du loup, sur son observation. Les éleveurs comme les écologistes, mais aussi les pouvoirs publics. Le loup est imprévisible et insaisissable : la plupart des meutes sont sédentaires, mais certaines sont nomades. Même les meutes sédentaires ne cessent de se déplacer sur le territoire qui est le leur. C’est un prédateur supérieur, comme l’homme, il s’adapte constamment. Je le définirais comme un animal social, voyageur et tueur.

L : Vous comparez souvent le loup à l’homme…

AN : Certaines thèses anthropologiques parlent d’ailleurs du loup comme un singe-homme. Hommes et loups ont une dynamique collective et prédatrice. Le loup a toutes les caractéristiques du prédateur supérieur, comme les requins, les ours ou les lions, il n’est pas spécialisé sur une proie et il va réguler lui-même sa population. C’est ainsi qu’il vit dans une double agressivité : face à ses congénères, et face à l’homme qui est un concurrent. La guerre entre l’homme et le loup est très ancienne.

L : Vous côtoyez vous-même le loup dans les Cévennes…

AN : Je vis à côté d’une meute de cinq loups, elle s’est probablement constituée en 2003 ou 2004. Mais les premiers problèmes ne sont arrivés qu’en novembre 2016. Avant ? Ils nous observaient. Il y a peu, dans mon village, une vieille vache a été attaquée juste après avoir vêlé. Il savait que cette vache n’était plus en état de se défendre. Il l’a choisie parmi un troupeau de dix-sept. Et il l’a préférée à des agneaux qui étaient gardés par plusieurs chiens et un berger. Une fois qu’ils ont commencé à attaquer et que cela a marché, ils ne cessent jamais. Pour le loup, c’est l’éleveur qui vit sur son territoire, pas l’inverse. On se focalise souvent sur une fragilité du loup, on veut le protéger, lutter contre sa disparition, sans prendre en compte son immense adaptabilité.

L : Quand le loup attaque-t-il les élevages ?

AN : Le loup préfère manger des animaux sauvages. Quand il attaque ou quand il «sort du bois», c’est souvent le résultat de mois ou même d’années d’observation. Mais comme nous avons perdu notre culture lupine, nous ignorons que lorsque le loup s’attaque aux troupeaux, c’est qu’il n’y a plus rien à manger, plus de gibier. Or, c’est aussi de mauvais augure pour l’homme. Dans le passé, c’était le début de la pauvreté, voire des disettes. C’est dans ce contexte qu’il attaquait le bétail, mais aussi les humains affaiblis. Nous avons suivi un modèle de régulation suédois qui préconise la chasse quand le loup attaque. Mais il faut intervenir avant. Il y a parfois une dizaine d’années entre l’arrivée du loup et les premières attaques. Et quand il attaque, il est déjà trop tard. Surtout, l’élevage intensif extensif, un maximum de bêtes pour un minimum de présence humaine, favorise les attaques de loups. Or, les bergers sont le seul rempart entre les loups et les moutons. Mais les éleveurs ont des problèmes économiques bien plus importants que les loups : la plupart des élevages ne dégagent que 300 euros de bénéfices par an…

L : Vous êtes aussi pisteur aux Etats-Unis ?

AN : Le travail de pisteur est ce qui m’intéresse le plus. Les Américains attrapent jusqu’à 150 loups par an. C’est très utile, un loup capturé n’attaquera plus jamais les troupeaux. Et sa meute va fonctionner de façon analogue une fois qu’il la rejoint, donc le gain est double. Je recommande l’usage de la capture depuis 2004. Ne laissons pas les éleveurs seuls. L’Etat leur doit au moins la protection. Le loup est un marqueur du sauvage dans des milieux où il n’y a plus de sauvage.

(1) Ed. Arthaud, mars 2018.

https://www.liberation.fr/france/2018/08/17/antoine-nochy-pour-le-loup-c-est-l-eleveur-qui-vit-sur-son-territoire-et-non-l-inverse_1673234

Nouveautés

Lobos ibericos, anatomia, ecologia y conservacion (vol.1), 531 p. ; et Lobos ibericos, indicios de presencia (vol. 2), 186 p. 55 €.
De Angel Iglesias Izquierdo, Angel Javier Espana Baez et Jose Espana Baez
Editions Nayade Nature, Valladolid (2017).

Les auteurs, vétérinaire, biologistes et médiateurs environnementaux figurent parmi les meilleurs spécialistes de la faune sauvage et des carnivores d’Espagne. En mettant en commun leur immense expérience de terrain dans l’étude, le recensement, la distribution, le mode de vie, l’alimentation, les indices de présence, l’éducation et la formation auprès des autorités et de la société, des populations de loups ibériques, ils nous livrent une monographie en deux volumes et un état des connaissances exceptionnels des populations espagnoles et portugaises de la sous-espèce, Canis lupus signatus1 Cabrera, 1907. Avec 1 500-2 000 loups en 2015 (297 meutes, sur une superficie de 100 000 km², soit 1/5e du territoire), la péninsule accueille la plus importante population de loups du continent européen, après la Russie et la Roumanie.
Le volume 1 détaille en 20 chapitres, les origines de l’espèce, l’anatomie, l’identification, l’habitat et la  distribution, le territoire, les déplacements, le comportement, les techniques de chasse, sa fonction biologique, l’étude de l’espèce sur le terrain, ses rapports avec l’homme, les conflits avec l’élevage… et la législation. Le tout avec une iconographie complète, dans son format, son utilisation et sa précision, obtenue à la foi dans la nature et en semi-captivité. Les planches photos de la dentition de loups, à différents stades de leur vie, illustrent, s’il en était besoin, que la vie d’un super-prédateur n’est pas un long fleuve tranquille (p. 98, la mâchoire d’un individu de 14 ans, ou celle, p. 99, d’un individu mort pris dans un lacet, aux dents usées d’avoir rongé le fil d’acier qui le retenait prisonnier).
Les auteurs n’éludent pas le sujet des attaques du loup sur les humains (vol. 1, p. 370-375). Ils reviennent sur trois attaques survenues en Galice entre 1957 et 1959 (époque avec « peu de proies sauvages et des loups abondants »), et la dernière en 1975 : une première attaque de trois enfants, dont deux seront tués, la seconde le 25 juin 1957 sur deux enfants de 5 ans, et la troisième sur 4 personnes dont deux ne survivront pas. En 1975, c’est un loup qui agresse un enfant de 3 ans, le blessant avant d’être mis en fuite.
Deux pages sont consacrées à des recommandations pour prévenir des attaques de loup, un peu comme en Amérique du Nord, où habitants, chasseurs ou randonneurs sont invités à adapter leur comportement pour prévenir ou réagir face à l’agressivité d’un grand prédateur (ours noir, grizzly, puma…). Le loup n’est ni méchant, ni gentil. Comme l’eau ou la pluie, et bien des animaux domestiques, il peut simplement parfois s’avérer dangereux. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, mais d’apprendre à vivre avec.
Le volume 2, consacré aux indices de présence sur le terrain, est inédit et unique dans la littérature européenne, française et anglo-saxone, récente sur le loup. 186 pages sont exclusivement consacrées, en huit chapitres, avec une très grande richesse iconographique, à l’examen et à l’identification des indices de présence dans la nature du loup ibérique :
– Empreintes, voies et pistes (pas moins de 65 pages), sur tous les substrats et pas seulement dans la neige, sur les six allures de déplacement, sur la distinction entre antérieur et postérieur, entre membre droit ou gauche, avec les chiens domestiques ou « asilvestrados »…;
– Excréments, urine et « vomitos » (38 pages) : plus d’une centaine de documents photographiques originaux, détaillant l’aspect, les mensurations, l’évolution dans le temps des fèces, leur situation dans la nature, leur localisation selon le calendrier du loup, la nature des proies … ; des documents uniques sur des fèces diarrhéiques (après l’absorption importante de sang ou traduisant une pathologie digestive ou intestinale ?), ou de rejets gastriques, « vomitos », de poils, charognes ou après absorption purgative de végétaux … ;
– Gîtes et tanières (17 pages) ;
– Restes de proies, charognes, examens des signes d’attaques et de consommation (36 pages) : analyse des blessures observables sur les proies blessées, tuées ou consommées, la localisation des lésions, du type de consommation, de l’état du cadavre ou des restes, les traces de la dentition (l’espace supérieur inter-canines et sa comparaison avec l’Ours brun, le Lynx pardelle ou le renard…), superficielles et en profondeur … ;
– Poils de loups (8 pages) accrochés à la végétation ou aux clôtures ;
– Grattis et griffades (8 pages) : aux fonctions visuelle, olfactive et territoriale ; les documents photographiques largement inédits détaillent trois types de grattis, simples réalisés par les membres antérieurs, complets réalisés simultanément par les antérieurs et les postérieurs, enfin les grattis complexes composés d’une succession de plusieurs grattis ;
– Excavations (6 pages) : réalisées avec les pattes antérieurs pour accéder à des sources de
nourriture ou pour enterrer des surplus de proies non consommés ;
– Sentiers et ossements de loups (4 pages).
« De visible il n’y a que des traces de canidés dans la boue. Mais avec d’autres yeux, il s’agit de recomposer une trajectoire, d’extrapoler un parcours, une allure, un faisceau d’intentions, qui disent une manière d’habiter un lieu ».
La lecture de Lobos ibericos est à la fois une magnifique invitation et aussi une admonestation sans frais adressée aux responsables du dispositif français de suivi et de gestion du loup, pour nous rappeler qu’acquérir les techniques et les aptitudes pour conduire un pistage complexe (simple, systématique et spéculatif d’après Liebenberg2, 2013) reste le préalable à toute pratique scientifique sérieuse d’étude et de gestion d’une espèce élusive, dont le mode d’existence (sa capacité à disparaître dans un paysage) empêche de produire facilement des preuves de sa présence. Toutefois, les gens qui vivent en pays à loups n’arrêtent pas de le voir sans le voir, autrement dit de le repérer par d’autres signes. Comprendre l’animal, et donc déterminer le mode possible de relations avec lui, c’est d’abord comprendre comment il circule.
L’autre leçon des scientifiques espagnols que nous, français, serions bien inspirés d’entendre : vivre avec un grand prédateur n’est pas affaire d’opinion, être pour ou contre, ce qui est aussi absurde qu’être pour ou contre la pluie ou la maladie, mais de savoirs. Pour lui signifier que sa place n’est pas dans la bergerie et les troupeaux d’ovins ne sont pas pour lui. Qu’on entre en relation, qu’on lui parle3, en somme, entre êtres sociaux que nous sommes tous ! Avec la seule question qui vaille, ce qu’il faut savoir pour vivre avec.

1 La Catalogne est la seule région d’Espagne qui accueille depuis 2000 une petite population de loups italiens Canis lupus italicus. Altobello, 1921.
2 The Origin of Science. The Evolutionary Roots of Scientific Reasoning and its Implications for Citizen Science, le Cap, Afrique du Sud, CyberTracker, 2013.
3 Qu’on lui communique nos intentions, lui signifie des limites, des frontières ou des interdits.

JJB, le 01/05/2018

Le chacal doré, une nouvelle espèce en territoire français ?

Florian Bardou – Libération – mercredi 4 avril 2018

Originaire d’Europe du Sud-Est, ce petit carnivore a été aperçu à plusieurs reprises par des chasseurs et protecteurs de l’environnement de Haute-Savoie ces derniers mois. Des observations ponctuelles confirmées par l’ONCFS.
On le dit semblable à un petit loup. D’une cinquantaine de centimètres au garrot et doté d’un museau pointu, le chacal doré (canis aureus, de son nom latin) ressemble plutôt à un gros renard. Mais contrairement à ces deux canidés emblématiques de la faune française, le chacal doré, dont l’aire de répartition historique s’étend des Balkans au sous-continent indien, n’avait jamais été remarqué à l’ouest des Alpes. Du moins jusqu’à cet été. Ce petit prédateur «opportuniste» avait en effet été photographié à trois reprises dans le Chablais par des chasseurs et des protecteurs de la nature de Haute-Savoie.
Dernières en date, les photos en couleur de la Fédération Rhône-Alpes de la protection de la nature (Frapna) montrent le canidé en train de renifler la terre près d’une souche, à la belle étoile. «On savait que la fédération de chasse avait pris quelques clichés quelques mois plus tôt d’au moins un individu», abonde Christophe Gilles, mammalogiste de la Frapna. Et le naturaliste sait de quoi il parle puisqu’il a déjà observé l’animal à l’étranger. «Le chacal est une bestiole discrète et nocturne. On peut le confondre avec un loup à cause de son pelage d’hiver. Mais avec des photos en couleur et après des mesures, pas de doute : il s’agit bien d’un spécimen de cette espèce», explique-t-il.
Ses observations, obtenues grâce à des pièges-photo pour la surveillance du loup et du lynx, ont cette fois été «validées» par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui confirme d’ailleurs à Libération la présence d’au moins un spécimen en France. «Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a qu’un seul, qu’il se soit établi ou qu’il va s’établir tout de suite», précise Murielle Guinot-Ghestem, responsable de l’unité «prédateurs-animaux déprédateurs» de cet organisme.
La dynamique d’expansion naturelle de l’espèce vers le nord et l’ouest de l’Europe depuis un demi-siècle fait cependant dire aux spécialistes du canidé qu’il y a de grandes chances qu’on le considère à l’avenir comme une espèce autochtone. «Est-ce que cela se fera dans les années ou les décennies à venir ? Pour l’instant, on ne peut pas le savoir, poursuit Murielle Guinot-Ghestem. Le chacal est une espèce très adaptable avec une prédilection pour les zones humides et agricoles. Son régime alimentaire et son comportement étant comparables à ceux du renard, il ne va pas bouleverser l’équilibre naturel.»
«Ce serait un enrichissement pour la biodiversité», plaide pour sa part François Moutou, expert associé du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et ancien président de la Société française d’études et de protection des mammifères. Et pour ce vétérinaire à le retraite, même si le chacal a bénéficié de l’affaiblissement des populations de loup, les trois espèces européennes de canidés sauvages sont tout à fait capables de coexister. Reste la question du statut à donner à cette nouvelle espèce en France. «Une chose est sûre, il faudra lui en donner un : celui de gibier chassable, d’espèce susceptible d’occasionner des dégâts [les soi-disant nuisibles, ndlr] comme le renard, ou d’espèce protégée comme le loup», précise François Moutou.
Protégé en Allemagne, chassable en Croatie
En 2016, la Commission européenne a d’ailleurs considéré qu’en l’état des connaissances scientifiques actuelles, le canis aureus ne pouvait pas être traité comme une espèce exotique envahissante, obligeant les Etats membres où l’animal s’est installé à maintenir un bon état de conservation de l’espèce en vertu de son inscription en 1992 à l’Annexe V de la directive Habitats-Faune-Flore. Néanmoins, dans les 19 pays de l’Union européenne où il est présent, précisait en décembre la Société française d’études et de protection des mammifères dans son bulletin bimestriel, le chacal doré bénéficie d’un degré de protection très varié, d’espèce chassable en Croatie à espèce protégée en Allemagne.
http://www.liberation.fr/france/2018/04/04/le-chacal-dore-une-nouvelle-espece-en-territoire-francais_1640696

 

AUJOURD’HUI EN LIBRAIRIE : LA BÊTE QUI MANGEAIT LE MONDE

Antoine Nochy, récit 270 p., Ed. Arthaud

« La première fois que j’ai vu des loups, c’était en Cévennes, en 2004, à quatre kilomètres à pied du village dont est originaire ma famille. J’ai compris à cet instant que nous avions une meute. J’ai voulu en parler, ça n’était pas le moment. Les visages se fermaient, les sourcils se dressaient. Des loups ! Pensez donc ! Les années sont passées. Et puis d’un coup, plus de sangliers ou de chevreuils là où on les attendait d’habitude à la battue, des troupeaux fébriles, des traces en losange, des chiens qui disparaissaient, quelque chose dans le pays avait bel et bien changé. »

Dans les Cévennes où il vit, à une centaine de kilomètres du Gévaudan, sur les terres qui ont inspiré La Chèvre de monsieur Seguin, au royaume de cette bête dont on disait autrefois qu’elle mange le monde, Antoine Nochy a traqué le loup pendant plusieurs mois. Il a arpenté les sentiers, les berges, les drailles à la recherche de signes et de traces et a écouté parler les hommes. Le loup, ce prédateur dont l’éradication fut pour les Européens un des premiers critères de la modernité, est de retour. Saurons-nous cohabiter avec le sauvage ? Lui apprendre des limites et lui faire respecter les activités des humains, avec qui il doit, lui aussi, partager son territoire et ses usages ?

Antoine Nochy, philosophe, écologue, spécialiste de la cohabitation avec les animaux sauvages, a été formé à l’étude et à la gestion du loup par les scientifiques du parc national de Yellowstone. De 2000 à 2004, il a accompagné les équipes scientifiques en charge de la réintroduction du loup gris et du rétablissement de ses populations dans trois Etats américains des Northern Rocky Mountains (Wyoming, Montana et Idaho)

A Lire – Du saumon, de l’abeille et du loup, Billebaude n°5 : La forêt

Couverture Billebaude : La charmeuse de serpents (Détail) Rousseau Henri (dit le Douanier Rousseau), 197, France Huile sur toile, paris, musée d'Orsay

Couverture
La charmeuse de serpents (Détail)
Rousseau Henri
(dit le Douanier Rousseau), 197, France
Huile sur toile, paris, musée d’Orsay

Du saumon, de l’abeille et du loup : petit traité d’ingénierie écologique
Antoine Nochy et Jean-Jacques Blanchon (Association Houmbaba)

Pour raconter une forêt, il faudrait d’abord écouter ce qu’elle a à nous dire. Car si les hommes sont maîtres de l’espace, les arbres sont les maîtres du temps. Face à la détérioration des milieux naturels, la forêt demeure notre principal thermostat climatique.

Notre histoire commence il y a 7 millions d’années, sans doute en Afrique de l’Est, quand notre lignée – préhumains – se sépare de celle des singes – prégorilles et préchimpanzés –, à partir d’un ancêtre commun. Nous venons des arbres. « Comme un petit primate, un mauvais grimpeur déjà bipède, qui grimpait le long des troncs ou passait de branche en branche en s’agrippant avec ses membres supérieurs », peut-on lire dans La Plus Belle Histoire de l’homme¹. La forêt garde une capacité à se réinventer, car les arbres fonctionnent dans l’éternité. C’est aussi à partir de la forêt que pourrait se réinventer l’humanité.

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A Lire – Le devenir loup, Billebaude n°4 : Le loup

Couverture de Billebaude n°4 - Le loup Juin 2014

Couverture
© Antoine Schneck, Leur chien, 2010

LE DEVENIR LOUP
Anne de Malleray, promenade avec Antoine Nochy

Pour comprendre le loup, nous sommes allés à sa recherche avec un ingénieur écologue « coureur de bois ». Approcher cet animal élusif oblige à convoquer expériences, techniques et savoirs multiples. Il faut savoir écouter les hommes et penser comme une forêt.

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L’épopée de Gilgamesh

Ecriture d’un livret racontant la frontière entre l’Homme et l’Animal, pour la réalisation par José Montalvo d’un ballet sur « L’épopée de Gilgamesh » au théâtre National de Chaillot.

> D’autres manifestations sont envisagées autour de cet événement.

Il est également prévu d’héberger l’exposition de Pedro Galhano Alves sur la cohabitation entre hommes et grands prédateurs (tigres en Inde, loups au Portugal, lions au Niger).